Pourquoi il faut lire Pièces et main d’œuvre

Par Matthieu Delaunay.

Recension publiée sur le blog de Matthieu Delaunay.

Pour avoir lu coup sur coup , « Le règne Machinal – la crise sanitaire et au-delà » et « Le manifeste des chimpanzés du futur – contre le Transhumanisme », lire Pièces et main d’œuvre semble salutaire.

Il est encore quelque dignité à faire du journalisme. En témoigne le salutaire travail d’enquête et de textes en tous genres produits par le phalanstère de citoyens politiques ralliés sous la bannière de Pièces et main d’œuvre. Certains se drapent dans l’acronyme comme on se réfugie derrière une marque, PMO porte ses trois lettres comme une médaille au pourpoint, une boussole à l’axe immuablement techno critique et écologiste radical.

Avec mordant et un style singulier et implacable, voilà 22 ans que cette audacieuse ligue s’est donnée pour objectif de « Tout dire ». Sa motivation, produire des idées afin d’en augmenter la viralité et permettre de rejoindre les rangs de ceux décidés à vivre contre ce monde (qui ne veut pas dire en dehors) qu’on nous prépare, et dont les hors d’œuvre ont déjà été servis il y a loin sur la table. Pour nous, PMO pointe l’ennemi : la technologie (à ne pas confondre avec la technique) – acmé du capitalisme et de la globalisation –, et ses serviteurs ou passe-plats : les experts, les scientistes, les technolâtres ; bref toute la clique des « Sachants » qui nous étourdissent le cortex depuis 70 ans dans les livres, à la radio, sur les plateaux de télé, et aujourd’hui sur des chaines internet.

Au-dessus de la technologie, ou à ses côtés – tant à lire PMO, on comprend qu’ils sont intimement liés, se servant l’un l’autre, ou passant de l’un à l’autre – , l’État et ses chiourmes. C’est peut-être un point positif à mettre au crédit de la catastrophe covidienne : dessiller la population sur la réalité du tapis roulant sur lequel nous sommes installés depuis notre naissance et qui nous mène immuablement entre quatre murs, par le biais  » bien pratique «  de la camisole numérique.

Entrés chez PMO par leur brillante interview publiée sur le site Le Comptoir, la lecture, coup sur coup – le terme est choisi à dessein tant ces livres sont des gifles – du Règne Machinal – la crise sanitaire et au-delà  et Le manifeste des chimpanzés du futur – contre le Transhumanisme a généré chez nous une déflagration. 

Pour faire court, le Manifeste des chimpanzés du futur, est un appel à ceux qui ont décidé de ne pas se laisser exterminer par une clique fournie d’intellectuels mégalomanes et techno idolâtres. Si nous ne pouvons tous les citer ici, voici quelques noms à retenir. Leur parole disruptive mérite d’être décortiquée, analysée et combattue : Hans Moravec, Elon Musk, Natasha Vita-More, Marc Zuckerberg, Luc Ferry, Laurent Alexandre, Raphaël Liogier, Nicolas Bouzou, Marc Roux, Aubrey de Grey, les féministes mutantes, Kevin Warwick, James Hugues ou encore Paul B. Preciado. 

Par différents argumentaires ou réflexions alambiquées, ces individus nous enjoignent à abandonner nos nippes d’humains imparfaits, pour les troquer pour les costumes taillés au patron de l’humanité augmentée. À coup de bistouri, d’implants et de puces, ces gens bien informés, bien introduits et bien financés, nous exhortent à ne pas être de ceux qui, décidés à rester humains et refusant de s’améliorer, « auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur. »  » Il y aura les gens implantés, hybridés, et ceux-ci domineront le monde. Les autres qui ne le seront pas, ne seront pas plus utiles que nos vaches actuelles gardées au pré. » Ces paroles glaçantes ne sortent pas d’un obscur pamphlet de PMO, mais sont le copier-coller de réponses à des interviews publiées dans Libération et Au Fait de Kevin Warwick, fervent promoteur de l’homme-machine. On a raillé les inquiets face au Transhumanisme, pensant qu’ils faisaient beaucoup de bruit pour rien. En expliquant sur 350 pages en quoi l’homme est déjà dans l’éprouvette, le texte de Pièces et main d’œuvre remettra de l’ordre à la rigolade généralisée.

Le Règne machinal, fruit de quinze mois d’enquête, soulève trois points fondamentaux concernant la crise sanitaire et sociale nourrie à la Covid-19 :

Le premier, à notre sens essentiel, concerne les origines du virus, décortiquées et analysées – preuves scientifiques à l’appui, car il n’y a pas que le gouvernement qui a un comité scientifique. Ce qui était encore une thèse complotiste jusqu’au printemps 2021 semble avoir repris de sa crédibilité originelle : la pandémie pourrait bien être d’origine humaine due à une fuite d’un laboratoire (paix aux pangolins) suite à un traficotage de virus entre scientifiques fous qui branlottent les éprouvettes et les virus depuis longtemps.  

Au fond, quelle importance ? Étonnamment (seulement pour les ingénus), ces origines n’intéressent personne. C’est fâcheux. D’autant plus fâcheux qu’il semble probable que l’avenir nous réserve de nouvelles pandémies, qui pourraient être plus mortelles que la catastrophe actuelle. Comme à leur habitude, les dirigeants gèrent et ne soldent rien ; comme à leur habitude, les médias courent derrière, commentant fébrilement la gestion du désastre sans jamais en interroger les origines. Et le public, ruminant ses OGM et sa dernière Netflix, regarde passer l’immuable caravane.

L’autre point fondamental est la mise en lumière des mensonges et des distorsions langagières menant vers une accélération de l’organisation technologique de la cité – qui est avant tout un acte politique. Entre autres mesure, l’avènement du puçage généralisé des populations. Certains, dont la mauvaise foi ferait pâlir d’envie Gabriel Attal, contestent encore ce terme. Soit. Qu’ils nous disent comment nommer le fait de détenir un Pass vaccinal dans un téléphone qui nous accompagne nuit et jour ? Pour se rassurer, on pourrait se dire que la puce n’est pas encore sous toutes les peaux, mais il faut se souvenir qu’avant de nous considérer en Maverick, elle est dans toutes les poches (celles de PMO mises à part). Rendons- nous à l’évidence, nous sommes cernés, étouffés par l’Emprise numérique, survolés par des drones ou des hélicoptères, rappelés à l’ordre par les autorités entrainés à nous disperser et nous vendre le « distanciel ».

Et puis enfin, un peu de régionalisme. Le règne machinal rappelle qu’Olivier Véran, actuel ministre de la santé, et Geneviève Fioraso ancienne ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, sont bien connus dans la cuvette grenobloise. Avant de « monter à la capitale » pour travailler à l’avènement de la technocrature (qui n’est pas la dictature mais « ce moment, ce glissement – mi-latent, mi- conscient – vers l’avènement du techno-totalitarisme ; l’incarcération de l’homme-machine dans le monde-machine. »), ils ont d’abord affuté leurs armes dans la métropole Grenobloise. La « Capitale verte 2022 » se vante depuis des décennies d’être un laboratoire d’idées novatrices et technologiques. Pour ces gens, une idée pourrait-elle être autre chose ?

À mesure que les pages sont tournées, la plongée dans la porosité entre le monde politique et celui des entreprises privées – dont les plus grandes sont technologiques – et celui des grandes organisations internationales se fait abyssale. Grâce à PMO, les notions de népotisme, de pantouflage, de coterie et de réseau prennent une texture nouvelle et concrète.

Dans la dernière partie du livre, admirable par son style, son rythme et sa densité, il est question de ce qui peut être fait pour résister à la contrainte automatisée. S’il n’est pas question de considérer que le refus individuel saurait suffire (ce que Günther Anders appelait « La grève privée » ), il n’est jamais trop tard pour se fortifier. Pour cela, faisons confiance à PMO pour nous orienter un peu dans le fait de ne pas renoncer à l’effort d’être libre. Eux qui ont, entre autres faits de gloire, su mener le sabotage en règle de la campagne de dix-sept débats sur les nanotechnologies lancée par l’État dans le cadre de la Commission nationale du débat public, nous rappellent que  » Si la cybernétique nous a soulagé de quoi que ce soit, c’est de nos moyens « .

Contre leur virus, compter nos morts ne suffit pas. Contre leurs discours unilatéraux et équivoques, il nous faut réagir. Penser net et droit ne veut certainement pas dire qu’il faut se méfier de tout, mais de prendre le temps de regarder de ce qui est. Quitte à être (très) fatigué. Comme le rappelait Thucydide quatre siècle avant notre ère – et que PMO cite opportunément – en cette période de crise à répétition, il va bien nous falloir choisir :  » Etre libre, ou se reposer « .  

Veillons donc. Pour lire PMO, comprendre, et avec eux, agir.

Entretien avec La Décroissance : la technocrature et l’organisation cybernétique de la société

Documents.

par Pièces et main d’œuvre.

Le mensuel La Décroissance a publié en septembre 2021 un entretien que nous avions réalisé début août. On est en novembre, autant dire que c’est un peu du réchauffé. Il faut avouer que nous défendons les mêmes idées depuis une paire de décennies et que les faits et les événements ne cessent d’apporter de nouveaux exemples pour illustrer notre propos et alimenter nos enquêtes. Ainsi, depuis cet entretien, le « passe » numérique a été adopté en Italie, en Suisse, Grèce, Irlande, Pays-Bas, etc et la technocrature demande maintenant sa prolongation jusqu’à l’été 2022.
Qu’à cela ne tienne, si vous voulez une mise à jour, vous pouvez lire notre récent échange avec Kévin Boucaud-Victoire sur le site du Comptoir.

Un salut de Michel Houellebecq aux Chimpanzés du futur

Texte de Michel Houellebecq lu sur France Inter le 4 mai 2020.

EN UN PEU PIRE

réponses à quelques amis

Il faut bien l’avouer : la plupart des mails échangés ces dernières semaines avaient pour premier objectif de vérifier que l’interlo­cuteur n’était pas mort, ni en passe de l’être. Mais, cette vérification faite, on essayait quand même de dire des choses intéressantes, ce qui n’était pas facile, parce que cette épidémie réussissait la prouesse d’être à la fois angoissante et ennuyeuse. Un virus banal, apparenté de manière peu prestigieuse à d’obscurs virus grippaux, aux conditions de survie mal connues, aux caractéristiques floues, tantôt bénin tantôt mortel, même pas sexuellement transmis­sible : en somme, un virus sans qualités. Cette épidémie avait beau faire quelques milliers de morts tous les jours dans le monde, elle n’en produisait pas moins la curieuse impression d’être un non-événement. D’ailleurs, mes estimables confrères (certains, quand même, sont estima­bles) n’en parlaient pas tellement, ils préféraient aborder la question du confinement ; et j’aimerais ici ajouter ma contribution à certaines de leurs observations.

Frédéric Beigbeder (de Guéthary, Pyrénées-Atlantiques). Un écrivain de toute façon ça ne voit pas grand monde, ça vit en ermite avec ses livres, le confinement ne change pas grand-chose. Tout à fait d’accord, Frédéric, question vie sociale ça ne change à peu près rien. Seulement, il y a un point que tu oublies de considérer (sans doute parce que, vivant à la campagne, tu es moins victime de l’interdit) : un écrivain, ça a besoin de marcher.

Ce confinement me paraît l’occasion idéale de trancher une vieille querelle Flaubert-Nietzsche. Quelque part (j’ai oublié où), Flaubert affirme qu’on ne pense et n’écrit bien qu’assis. Protesta­tions et moqueries de Nietzsche (j’ai également oublié où), qui va jusqu’à le traiter de nihiliste (ça se passe donc à l’époque où il avait déjà commencé à employer le mot à tort et à travers) : lui-même a conçu tous ses ouvrages en marchant, tout ce qui n’est pas conçu dans la marche est nul, d’ailleurs il a toujours été un danseur dionysiaque, etc. Peu suspect de sympathie exagérée pour Nietzsche, je dois cependant recon­naître qu’en l’occurrence, c’est plutôt lui qui a raison. Essayer d’écrire si l’on n’a pas la possi­bilité, dans la journée, de se livrer à plusieurs heures de marche à un rythme soutenu, est fortement à déconseiller : la tension nerveuse accumulée ne parvient pas à se dissou­dre, les pensées et les images continuent de tourner douloureuse­ment dans la pauvre tête de l’auteur, qui devient rapidement irritable, voire fou.

La seule chose qui compte vraiment est le rythme mécanique, machinal de la marche, qui n’a pas pour première raison d’être de faire apparaître des idées neuves (encore que cela puisse, dans un second temps, se produire), mais de calmer les conflits induits par le choc des idées nées à la table de travail (et c’est là que Flaubert n’a pas absolument tort) ; quand il nous parle de ses conceptions élaborées sur les pentes rocheuses de l’arrière-pays niçois, dans les prairies de l’Engadine etc., Nietzsche divague un peu : sauf lorsqu’on écrit un guide touristique, les paysages traversés ont moins d’importance que le paysage intérieur.

Catherine Millet (normalement plutôt parisienne, mais se trouvant par chance à Estagel, Pyrénées-Orientales, au moment où l’ordre d’immobilisation est tombé). La situation présen­te lui fait fâcheusement penser à la partie « anticipation » d’un de mes livres, La possi­bilité d’une île.

Alors là je me suis dit que c’était bien, quand même, d’avoir des lecteurs. Parce que je n’avais pas pensé à faire le rapprochement, alors que c’est tout à fait limpide. D’ailleurs, si j’y repense, c’est exacte­ment ce que j’avais en tête à l’époque, concernant l’extinction de l’humanité. Rien d’un film à grand spectacle. Quelque chose d’assez morne. Des indi­vidus vivant isolés dans leurs cellules, sans contact physique avec leurs sembla­bles, juste quelques échanges par ordina­teur, allant décroissant.

Emmanuel Carrère (Paris-Royan ; il semble avoir trouvé un motif valable pour se dépla­cer). Des livres intéressants naîtront-ils, inspirés par cette période ? Il se le demande.

Je me le demande aussi. Je me suis vraiment posé la question, mais au fond je ne crois pas. Sur la peste on a eu beaucoup de choses, au fil des siècles, la peste a beaucoup intéressé les écrivains. Là, j’ai des doutes. Déjà, je ne crois pas une demi-seconde aux déclarations du genre « rien ne sera plus jamais comme avant ». Au contraire, tout restera exactement pareil. Le déroulement de cette épidé­mie est même remarquablement normal. L’Occident n’est pas pour l’éternité, de droit divin, la zone la plus riche et la plus développée du monde ; c’est fini, tout ça, depuis quelque temps déjà, ça n’a rien d’un scoop. Si on examine, même, dans le détail, la France s’en sort un peu mieux que l’Espagne et que l’Italie, mais moins bien que l’Allemagne ; là non plus, ça n’a rien d’une grosse surprise.

Le coronavirus, au contraire, devrait avoir pour principal résultat d’accélérer certai­nes muta­tions en cours. Depuis pas mal d’années, l’ensemble des évolutions technologiques, qu’elles soient mineures (la vidéo à la demande, le paiement sans contact) ou majeures (le télétravail, les achats par Internet, les réseaux sociaux) ont eu pour principale conséquence (pour principal objectif ?) de dimi­nuer les contacts matériels, et surtout humains. L’épidémie de coronavirus offre une magni­fique raison d’être à cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaines. Ce qui me fait penser à une comparaison lumineuse que j’ai relevée dans un texte anti-PMA rédigé par un groupe d’activistes appelés « Les chim­panzés du futur » (j’ai découvert ces gens sur Internet ; je n’ai jamais dit qu’Internet n’avait que des inconvénients). Donc, je les cite : « D’ici peu, faire des enfants soi-même, gratuitement et au hasard, semblera aussi incongru que de faire de l’auto-stop sans plateforme web. » Le covoiturage, la colocation, on a les utopies qu’on mérite, enfin passons.

Il serait tout aussi faux d’affirmer que nous avons redécouvert le tragique, la mort, la finitude, etc. La tendance depuis plus d’un demi-siècle maintenant, bien décrite par Philippe Ariès, aura été de dissimuler la mort, autant que possible ; eh bien, jamais la mort n’aura été aussi discrète qu’en ces dernières semaines. Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpital ou d’EHPAD, on les enterre aussitôt (ou on les inci­nère ? l’incinéra­tion est davantage dans l’esprit du temps), sans convier person­ne, en secret. Morts sans qu’on en ait le moindre témoignage, les victimes se résument à une unité dans la statistique des morts quoti­diennes, et l’angoisse qui se répand dans la population à mesure que le total augmente a quelque chose d’étrangement abstrait.

Un autre chiffre aura pris beaucoup d’importance en ces semaines, celui de l’âge des malades. Jusqu’à quand convient-il de les réanimer et de les soigner ? 70, 75, 80 ans ? Cela dépend, apparem­ment, de la région du monde où l’on vit ; mais jamais en tout cas on n’avait exprimé avec une aussi tranquille impudeur le fait que la vie de tous n’a pas la même valeur ; qu’à partir d’un certain âge (70, 75, 80 ans ?), c’est un peu comme si l’on était déjà mort.

Toutes ces tendances, je l’ai dit, existaient déjà avant le coronavirus ; elles n’ont fait que se manifes­ter avec une évidence nouvelle. Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire.

Michel HOUELLEBECQ